Analyse de Film: "Le Cri" de Michelangelo Antonioni (2e Partie)

Publié le par Stockton

 

le-cri-antonioni.jpgSteve Cochran dans "Le Cri".

 

 

Les Limbes du Regard.

 

            Le miroir brisé par Irma entraine d’autres conséquences. La plus intéressante semble être la fuite du regard. Car en effet, le regard, en manque de représentations, de double, n’arrive plus à se fixer. Et les regards fuyants parcourent l’ensemble du film, interdisant de fait la présence de champ/contrechamp. Les regards d’Aldo et de celui des femmes qu’il rencontre se cherchent sans cesse et ne se trouvent pas, ou si peu, et lorsque c’est le cas, la situation fait preuve d’une violence rare. Ainsi les regards d’Aldo et d’Irma ne se croisent de façon significative que deux fois. Le premier regard se présente lorsqu’Aldo gifle Irma. Cette dernière lui offrant un regard bouillant, provocateur en guise de réponse. Le second regard, qui marque également le retour de la voix par le cri horrifié d’Irma, se présente lorsqu’Aldo tombe de la tour de l’usine à sucre. Les regards se font fuyants car ils fuient l’horreur, l’horreur du non-sens, l’horreur de la réalité révélée. L’Homme semble ne supporter sa propre inconstance et la constante indifférence du monde, que s’il l’observe du coin de l’œil avant de détourner la tête. Faire face. Voila sans doute la cause du cri horrifique d’Irma. Un cri qui nait, lorsque l’horreur est tellement grande que l’on ne peut détourner la tête, lorsque l’on ne peut plus se réfugier dans les schémas de représentation quotidiens.

 

           Cette fuite des regards semble par ailleurs réfuter l’idée communément admise à propos d’Antonioni, qui veut que son Cinéma soit celui de l’incommunicabilité. Et cela notamment, car ces regards fuyant trahissent les fêlures des personnages. La communication certes, ne s’établit pas de manière frontale (pas de champ/contrechamp donc) mais de manière interstitielle. Et lorsque ceux-ci se trouvent, ils communiquent leur haine, leur tristesse, ou leur désir. De la même manière, la parole dans le film sert généralement la tromperie. Par exemple lorsque Virginia dit à Aldo que Rosina est en train de dormir pour pouvoir coucher avec lui, alors que Rosina est avec son père. Mais cette tromperie, par un jeu d’opposition révèle les intentions véritables des personnages. D’autre part, Aldo a également du mal à s’exprimer sincèrement, mais sa propension à donner des coups un peu partout reste une attitude communicante.

 

           Le Cinéma d’Antonioni ne serait donc pas un Cinéma de l’incommunicabilité, mais un Cinéma de l’incapacité à regarder, de l’incapacité à faire face. Hypothèse qui semble confirmée par la fuite totale du personnage principal, Aldo, qui ne cherche pas à se reconstruire après sa rupture avec Irma, mais qui se contente simplement d’errer, vide de toute volonté, dans des limbes brumeux, mélancoliques et délétères. ...

 

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