Ouverture du blog cinématographique KinoBox : Dossier sur la Photographie de Plateau (1ère Partie).

Publié le par Stockton

    Afin de marquer l'ouverture de la KinoBox, voici la première partie d'un dossier sur la photographie de plateau.


Prologue.

 

     « La photo de film semble n'avoir jamais mérité l'attention d'un travail un peu soutenu ni le souci d'une écriture. Alors qu'il est tout à fait légitime d'écrire aujourd'hui son amour du cinéma, écrire sur la photo de film a encore une allure de micro-perversion, comme si la relation à ce petit objet était un peu parasitaire par rapport à l'amour pleinier du cinéma, comme s'il s'agissait de quelque chose de trop ténu pour qu'il vaille la peine d'en découdre avec l'écriture, ou encore comme si l'on entrait, par cet infinitésimal, dans l'ordre de l'intime et de l'inavouable. »

Alain Bergala.

 

     La photographie de plateau est une discipline laissée pour compte. Une sorte de paria des arts visuels qui, caché dans un sombre recoin des plateaux de tournage, cadre timidement les mouvements complexes qui permettent au Cinéma d'exister. Comme le suppose à raison Alain Bergala, la photographie de plateau à trait à l'inavouable, en cela qu'elle vit dans l'ombre du 7e Art et de ses maîtres. Que ce soit parce que Hitchcock, interventionniste tyrannique, ne lui laisse aucune chance de s'émanciper en l'accablant de ses propres directives, ou parce que le sens commun semble la considérer comme un simple ersatz des œuvres cinématographiques, la photo de film subit, complexée, sa condition. La photographie de plateau est le mouton noir de la bande, le traître qu'il faut abattre. Et c'est cette notion de trahison de la photographie de plateau qui va nous intéresser tout particulièrement. Pierre Zucca lui-même, alors qu'il est un photographe de plateau reconnu, soulève cette idée de trahison dans son texte « Signe de mort et signe de vie », en pointant du doigt les limitations techniques et éthiques de sa discipline. Car en effet, n'est-il pas difficile pour une prise de vue photographique (fixe, instantanée,etc...) de rendre compte d'une séquence de film (en mouvement, sonore, dans la durée...) sans recourir à une certaine forme de trahison du matériau filmique, c'est-à-dire sans recourir à l'artifice et à la manipulation? Cette trahison est-elle condamnable ou est-elle un moyen de pallier à certaines lacunes techniques pour faire émerger une vérité nouvelle ? Un photogramme, en apparence absolument fidèle au matériau filmique, ne serait-il pas alors plus à même de représenter un film sans le trahir ?

 

 

La Trahison de la Photographie de Plateau.

 

      Il est nécessaire, en premier lieu, d'affirmer ceci : une photographie de plateau n'a rien à voir avec un photogramme, une image directement extraite d'un film. Techniquement d'abord, puisqu'une image résultant d'une prise de vue effectuée à 24 images par seconde comporte de nombreux défauts de qualité (contraste, manque de définition, filage, etc...). Symboliquement ensuite, puisque le photogramme, en tant que fragment extrait d'une suite de prises de vues, ne possède de sens qu'en présence du photogramme qui le précède et du photogramme qui lui succède. Or la photographie de plateau a pour objectif d'évoquer un film dans son ensemble, ou de résumer l'entièreté d'une action, en une seule image.

Cette distinction entre photographie et photogramme fait donc apparaître le premier problème de la photographie de plateau. A savoir la question de la retranscription de la durée. Car c'est bien ce qui, par opposition, semble la distinguer notoirement d'un film.

 

« Pour représenter le film, la photographie de plateau d'un tel film devrait restituer la même image que le film mais en plus, permettre par un artifice, la perception de la durée inhabituelle de cette image dans le film. L'impossibilité où elle se trouve de recourir directement à la durée pour pervertir, imposer ou critiquer un sens, une émotion, etc., contraint la photographie à une opération de trahison sur ce qui se passe, ne fait que passer, et qu'elle fixe, comme sur ce qui demeure, demeure sans se modifier, et qu'elle transforme en instant privilégié. » Pierre Zucca.

 

    Cette citation de Zucca cible le cœur du problème. Le film, en tant que défilement de photogrammes, a le privilège (privilège a priori inexistant dans l'art photographique) de pouvoir retranscrire la durée d'une action de par sa nature même. Si le but de la photographie de plateau est bel et bien de représenter un film (ou du moins une séquence) en une seule image, alors celle-ci se trouve dans l'obligation de recourir à l'artifice. La première trahison de la photographie de plateau est donc, par nature, de ne pouvoir se faire le représentant « objectif » d'un film, et d'être obligée, pour coller au plus près de la matière filmique, de recourir à une certaine forme de manipulation. Cette trahison est donc d'ordre éthique. La photographie réorganise, met en scène, concentre, synthétise, la matière filmique. Elle crée l'illusion du mouvement et rend compte d'une temporalité artificielle. De plus, il faut ajouter à cet écart entre la scène visible dans le film, et la scène modelée et condensée dans la photographie de plateau, cette notion de « transformation en instant privilégié » évoquée par Zucca. Ainsi la trahison se double, car elle porte à la fois sur « ce qui se passe » -ceci renvoyant à l'idée de manipulation par la photo de plateau de la matière enregistrée sur le film- et sur ce qui « ne fait que passer », c'est-à-dire sur des éléments presque subliminaux, liés entre eux, insaisissables dans leur particularité. En plus de tenir du simulacre, de l'imitation, la photo de plateau a donc le pouvoir de mettre en avant un fragment de séquence, et donc de soustraire le reste de la séquence représentée à sa propre existence.

 

Photo-de-plateau.jpg

Photo de Pierre Zucca, pour le Film « Judex » de Georges Franju.

 

 

     Cependant le débat mérite d'être élargit pour relativiser la puissance de cette critique. Car comme le suggère Pierre Zucca « toutes les photographies sont des photographies de plateau ». Cette idée, malgré un certain élan subversif, se doit en effet d'être disséquée, pour comprendre à quel point la trahison de la photographie de plateau envers le film qu'elle représente est minimale. Prenons par exemple la photographie de reportage. Celle-ci ne modifie-t-elle pas la réalité ? La photographie découpe le réel, et ce découpage, dans son essence même, exprime une subjectivité. La photographie de reportage, ne peut donc prétendre à l'objectivité, ce qui par extension suppose que toute photographie est complice d'une certaine transformation du réel. Cette supposition est d'ailleurs largement confirmée par Zucca lorsqu'il affirme que «  la trahison indispensable opérée par la photographie sur la réalité permet tous les mensonges comme toutes les vérités » et que « l'avantage moral de la photographie de plateau n'est alors rien d'autre que sa particularité d'avoir ouvertement à ne trahir qu'une fiction ». Ainsi, si toute photographie est acte de trahison, la photographie de plateau se fait la petite sœur immaculée de la photographie de reportage. Car le domaine de la fiction semble l'éloigner de toute forme possible de propagande, (Propagande, dans le cas où une réalité tronquée par le cadre photographique, nous serait présentée comme une réalité non-altérée par le regard du photographe.), ou du moins réduire grandement l'ampleur de l'enjeu découlant d'une manipulation du réel photographié. Tout du moins d'un point de vue moral, éthique, comme nous avons pu le signaler précédemment, la manipulation d'un réel fictionnel (le film) semblant avoir des conséquences beaucoup plus légères que la manipulation d'évènements directement ancrés dans la réalité (dans le cas de la photographie de reportage).   ...

 

 

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