Analyse de Film: "Le Cri" de Michelangelo Antonioni (4e et Dernière Partie)

Publié le par Stockton

 

 

 

        La Fuite.

 

        Les fuites sont donc multiples dans « Le Cri ». Et la petite cabane qui se révèle être la dernière demeure d’Aldo en est une belle représentation. Le toit de chaume de celle-ci est tellement perméable, que les fuites d’eau envahissent tout l’espace habitable. Et ceci n’est pas un élément isolé, puisque le paysage semble, tout au long du film, être en adéquation avec l’état d’esprit d’Aldo. Si l’on a déjà parlé de la brume, on pourrait également ajouter la présence importante de boue. La boue semble recouvrir la quasi-totalité des chemins qu’Aldo parcourt. Et Aldo semble littéralement embourbé dans ce paysage uniforme, presque informe. Dans le même ordre d’idée, les habitations qu’il occupe semblent traduire son détachement progressif, ou disons l’effritement de son rapport à autrui et au monde. S’il habite dans une maison d’apparence solide au début du film, il passe ensuite à une sorte de cabanon en bois, pour finir par la baraque de paille citée précédemment, qui semble au bord de l’écroulement. Ecroulement dont le parallèle avec l’état d’épuisement d’Aldo est évident.

 

        La scène où l’on découvre un match de boxe est également significative à ce propos, puisqu’elle semble n’avoir d’autre intérêt que de donner une vision de l’état d’esprit d’Aldo. La salle où se déroule le match est exigüe et bondée. On ne l’aperçoit que par l’entrebâillement d’une porte. Aldo se réveille, au milieu de la nuit semble-t-il, s’habille, sort de sa petite cabane dont le calme contraste avec l’ambiance chahutée de la salle de boxe. Aldo pénètre dans la salle. Il se fait bousculer, et en ressort presque immédiatement, pour retourner dans sa chambre. L’intérêt narratif de la séquence est proche de zéro, mais elle permet de développer assez subtilement les tensions qui habitent le caractère introverti d’Aldo, tout en permettant une meilleure compréhension de son sentiment d’inadaptation, de son détachement du réel.

Cette adéquation entre les sentiments d’Aldo et son environnement contribue à donner cet aspect étrange au paysage, presque détaché d’une géographie réelle. L’ensemble apparait comme une étendue désertique, hors de tout espace-temps réel, parsemée d’îlots qui, s’ils sont le lieu d’évènements dramatiques, ont du mal à être véritablement situés. Ainsi l’errance d’Aldo, si elle semble l’emmener d’un lieu à un autre possède un caractère immobile, qui donne l’impression qu’Aldo fait du sur-place. Ceci s’ajoute donc au caractère cyclique du film, et à la répétition inlassable des situations d’échec que connait Aldo. Ainsi bien que les fuites multiples qui parcourent l’ensemble de l’œuvre semblent terriblement vaines, aucun choix ne semble être laissé au personnage d’Aldo. Face à l’horreur du réel, face à l’inconstance totale des rapports humains, il ne reste malgré tout qu’à fuir, fuir jusqu’à l’épuisement, jusqu’à faire corps avec le néant.


 

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-Bibliographie :

 

-Antonioni, Roger Tailleur et Paul-Louis Thirard, Editions universitaires, Paris, 1963.

-Antonioni, Aldo Tassone, Ed. Flammarion, 1985.

-Positif n° 569-570, Spécial Antonioni, Juillet-août 2008.

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